Vous connaissez
ces kits d'archéologie pour enfants qui proposent de pseudo-ossements en plastique à dégager d'un bloc de plâtre ? Et bien la Nature offre l'équivalent - en mieux, comme toujours...
Non, non, notre trouvaille du jour n'est pas une crotte. C'est
une pelote de réjection : inodore, sèche,
propre. Dénichée lors d'une ballade en forêt au pied d'un grand conifère, c'est une boule de poils agglomérés qui recèle des indices précieux sur la vie animale alentour ...
Si vous avez la chance d'en trouver une, proposez à vos enfants de la disséquer afin qu'elle vous livre ses secrets. Commençons par l'observer de l'extérieur, à l’œil, à la loupe, au microscope. Que voyons-nous ?
Si la pelote contient des ossements, c'est qu'elle a été rejetée par un rapace nocturne. S'il ne s'agit que de poil, c'est sans doute le résultat de la digestion d'un corvidé, aux sucs digestifs suffisamment puissants pour digérer les os. Enfin, si elle contient des arêtes et des éclats de coquillages, elle appartient sans doute à une mouette - voire à un martin pêcheur !
Pour nous, nous penchons à première vue pour une chouette hulotte, car elles sont communes dans les environs. Cependant, il ne serait pas étonnant que le bois de résineux où nous avons trouvé la pelote soit également peuplé de hiboux moyen-ducs. Le lieu correspond effectivement assez bien aux forêts-dortoirs prisées par ces oiseaux, car il est entouré de vastes prairies ouvertes, qui constituent le terrain de chasse de ces nocturnes.
La dissection de la pelote devrait nous permettre de vérifier ou d'infirmer cette hypothèse... En effet, le hibou moyen-duc se nourrit à 90% de campagnols... Si les squelettes mis au jour appartiennent exclusivement à cette espèce, nous serons en droit d'imaginer avoir trouvé le perchoir favori du beau rapace. Par contre, si la pelote contient un squelette de musaraigne, cette théorie tombe à l'eau : le moyen-duc ne prise pas trop ces rongeurs, et nous dirons donc qu'il s'agit d'une pelote de Hulotte...
Au boulot ! 😊
Avant de commencer à la décortiquer, n'oubliez pas de
peser et de mesurer votre pelote, car ensuite, il sera trop tard ! 😉
Chez nous, nous avons installé un dispositif nous permettant de "filmer" la dissection :
notre microscope USB fut fixé au pied de l'appareil photo et programmé pour prendre un cliché toutes les 20 secondes. J'adore ce type d'installation qui met la technologie au service de la science, et me fait me croire à
Reggio Children !
Les enfants sont venus procéder à la dissection avec moi, à tour de rôle. Nous avons placé la pelote sur une feuille de couleur afin de mieux visualiser les ossements mis au jour.
On peut
humecter la pelote avant de la disséquer - c'est ce que je vous conseillais dans mon livre
Une année pour apprendre en s'amusant, page 194. Cependant, pour avoir tester aussi à sec depuis, je crois que j'aime autant. A vous de voir !
Les os dégagés sont grisâtres. Par mesure d'hygiène, si vous souhaitez les conserver, plongez-les dans un flacon d'
eau javellisée...
... et les voilà
blancs comme neige (ou presque) !
Le premier tri a été fait : les os d'un côté, et les poils de l'autre. Notre pelote contenait deux crânes de rongeurs, dont on voit au premier coup qu'ils n'appartiennent pas à la même espèce. Ce sont ces crânes qui vont servir à identifier les proies avec certitude. Notre enquête avance !
J'ai bricolé
une clef de détermination facilement lisible pour les enfants. Vous pouvez la télécharger
ICI.
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Squelette de souris |
Un second tri commence à l'aide de ce document : dans de petits flacons, nous trions les ossements par catégories. Maxillaires, dents, vertèbres... Le travail est tout à fait à la portée d'Antonin, 6 ans, qui "absorbe" le vocabulaire avec une facilité déconcertante...
Et voilà le travail ! Nous avons la bonne surprise de constater que les deux squelettes sont quasiment complets. Seules les omoplates demeurent introuvables (mais peut-être les confond-on avec des débris d'os crâniens ?) et il manque une maxillaire inférieure, qui a dû se détacher de la pelote lors de sa chute. Les bribes de colonne vertébrale, parfois bien conservées au moment où on les a dégagés des poils, ont tendance à se fractionner au cours des manipulations successives... Tant pis, c'est le prix à payer à travailler avec des petits... Et en même temps, cela fait une illustration de ce que la colonne est composée d'os emboîtés !
Bien sûr, notre travail de naturaliste n'est pas achevé : il faut étiqueter. L'enthousiasme des enfants à rédiger ces étiquettes m'a beaucoup étonnée : ils se sont chargé du travail de bout en bout, avec beaucoup de persévérance et d'autonomie - vrai, je crois que tels qu'ils étaient lancés, ils auraient pu rédiger deux fois plus d'étiquettes ! 😄
On
écrit, on
découpe...
... on glisse les ossements concernés
dans un petit sachet de gaze...
Il ne reste plus qu'à glisser
la légende dans le sachet et à refermer le tout.
Et on procède ainsi pour toutes les catégories précisées dans notre document : radius, cubitus, humérus... La musicalité de ces mots n'est sans doute pas étrangère à l'intérêt des enfants !
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Photo by Antonin 💓 |
L'ensemble de notre travail est conservé dans notre classeur de sciences (notre classeur "des choses du monde", comme l'appellent les enfants) et qu'il faudra un jour que je vous le présente, car il mérite un petit article à lui tout seul... 😉
Et donc, le fin mot ? Je me suis penchée très sérieusement sur
les clefs de détermination des micromammifères de notre région pour essayer d'identifier les deux sujets ingurgités - et régurgités - ce jour-là. L'identification est difficile, et nécessite des mesures qui sont pour le moment hors de portée de mes enfants. La bonne nouvelle, c'est que nous pourrons toujours reprendre nos ossements dans quelques années pour les identifier plus avant.
Mes observations personnelles me feraient dire que nous avons là un squelette de campagnol, et un de muridé (certainement un mulot).
Si tel est bien le cas, rien ne condamne absolument l'hypothèse qu'il s'agisse d'un moyen-duc...
Et je dois avouer qu'il me plaît d'y croire ! 😉