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De l'artisanat


Quelle est la différence entre l'art et l'artisanat ? 😊

En pédagogie, il semblerait qu'il s'agisse de deux domaines d'apprentissage distincts.  

En art, on étudie l'Histoire de la vie des peintres, on s'applique à décrire les grands mouvements picturaux. On s'exerce à travailler avec divers média (pastels, peinture sur soie etc.) selon divers sujets (portrait, nature morte, silhouette de dos, etc.).  

Lorsqu'on parle d'artisanat (crafting, en anglais), on subordonne, il me semble, la technique au "matériau", qu'il soit textile (broderie, dentelle, tissage, teinture végétale...), métal (coutellerie ...), bois (ébénisterie, menuiserie ...), etc. 

En France, les filières artistiques et les filières techniques n'exigent d'ailleurs pas les mêmes pré-requis, et ne s'enseignent pas dans les mêmes établissements... 


Cela fait bien longtemps que je réfléchis à ce qui distingue l'art et la technique. Et je suis de celle qui pense, en effet, que les deux domaines d'exercice ne recouvrent pas les mêmes réalités cognitives et manuelles. J'ai proposé des activités à caractère artistiques à mes enfants très jeunes - dès que leurs mains se sont libérées lors de l'acquisition de la posture assise, vers 6 mois. Mais nous n'entrons que depuis quelques semaines dans des activités dites "manuelles", "artisanales" - mes enfants ont aujourd'hui 5 et 6 ans. Pourquoi ce décalage ?

À bien y réfléchir, je ne crois pas vraiment à la distinction naïve posée plus haut. L'artisanat ne se définit pas uniquement dans une relation à la matière. Car tous les matériaux utilisés par lui (l'argile, le cuir, le verre, le carton, la pierre ...) peuvent l'être aussi à des fins artistiques... 


Il me semble que c'est l'intention qui fait la différence. 
En gros peut-être : on "fait" de l'art avec ses tripes, et de l'artisanat avec sa raison.
Si mon objectif, en saisissant cette boule d'argile, est l'expression de soi ou d'une idée, sans doute suis-je engagée dans un processus artistique. 
Si mon objectif est de produire un objet pratique - par exemple un bol esthétique et étanche qui me permette de ranger ma collection de coquillages - je suis dans l'artisanat. 
Notez que l'objet fini sera peut-être exactement le même, qu'il soit d'art ou d'artisanat : dans notre exemple, un bol d'argile ciselé, dans lequel j'aurai mis tout mon talent et toute mon âme ...

En artisanat, nous poursuivons toujours une idée préconçue : nous souhaitons créer tel type d'objet qui devra répondre à certains critères - esthétiques et pratiques. L’artisan, c'est vrai, a une relation particulièrement complexe avec la matière, dans la mesure où il vise une certaine efficacité : il s'agit souvent de faire plier le matériau à ses fins, là où l'artiste peut, peut-être, accepter plus facilement le dialogue. 

Car la matière a sa volonté propre, et ne se laisse pas faire. 😉 La spécificité de l'artisanat, c'est peut-être la frustration : je veux coller ces deux morceaux ensemble - j'ai besoin qu'ils soient collés, car je poursuis un but technologique précis ( par exemple : je façonne une chaussure qui doit être confortable et solide).  
Comment faire pour y parvenir ? Quelle colle utiliser ? Comment l'appliquer et en quels points ?


Je déplore souvent que l'enfant, en maternelle, passe son temps à réaliser de petits "bricolages" qui ne lui apportent pas grand chose : il s'agit de suivre des instructions, délivrées par l'adulte (et parfois même exécutées par l'adulte ...), afin de produire un objet "en série" - grosso modo, chaque enfant de la classe obtient un produit similaire à la fin de la séance. 

Généralement, lors de l'entrée en école élémentaire, ces séances s'arrêtent net. Tout ça, c'est pour les bébés, voyez-vous. En maternelle, "on fait de jolies choses", mais en élémentaire, place au sérieux : il s'agit d'apprendre à lire et à compter, tout de même.


Je soutiens, moi, que c'est justement le moment où il faudrait commencer à "bricoler" !

Vers 5/6 ans, l'enfant peut commencer à développer une idée préconçue de ce qu'il veut réaliser, et  suivre cette idée tout au long du processus de réalisation. Ils s'intéresse aux notices, aux modes d'emploi. Il aime faire les choses dans l'ordre et se sent fier de l'objet réalisé, qu'il souhaite garder précieusement.

En règle générale, tout cela est hors de portée des plus jeunes. Bien sûr, comme toujours, certains enfants parviennent à maîtriser ce processus de création (articulant pensées et actions, puis comparaison des deux) un peu plus tôt que d'autres. Mais grosso modo, c'est vers 5 ans que ce stade débute, et même : il se muscle avec le temps. Entre 8 et 15 ans, la technologie procure un vrai plaisir à bien des enfants - mais elle est quasiment absente des programmations scolaires "classiques", et les parents qui proposaient tant d'activités manuelles lorsque leurs enfants étaient bébés n'y songent même plus lorsqu'ils en ont l'âge ...


Alors, voilà, je voulais simplement vous dire que chez nous, une nouvelle ère avait officiellement commencé - bien sûr, cela fait longtemps qu'elle était amorcée, dans l'ombre, via les jeux de construction et d'électricité ...

Et bien sûr, on aime (à la folie !). Voici comment nous procédons. 


Les enfants ont une idée d'objet à réaliser. Ou parfois, c'est moi. 😊 Nous cherchons sur Internet ou dans des livres ce qui pourrait se rapprocher de ce que nous avons dans la tête, nous nous montrons nos découvertes, nous les décrivons, nous argumentons : "Comme ça exactement, sauf que là, il faudrait ... Et puis, comme nous n'avons pas tel matériau, on pourrait prendre ...".

Pour le moment, je ne soumets pas de fiche technique à mes enfants - ils en côtoient à travers les Legos et autres, ce qui est très bien. Je les laisse plutôt tâtonner en vue du produit que nous cherchons à réaliser. Par exemple, au moment de fabriquer nos petits avions en pinces à linge, dont nous avions vu l'image sur Internet, nous avons commencé par réunir les matériaux nécessaires, puis j'ai demandé : "Par quoi allons-nous commencer ?". Les enfants m'ont tout de suite dit : "Il faut coller." Ils ont empoigné les pinces à linge et les bâtonnets, ont dévissé les tubes de colle - puis ils ont montré quelques signes d'incertitude ...

"Vraiment, ai-je dit, tout de suite ? Si l'on veut obtenir ce résultat, ne faut-il pas faire quelque chose d'abord ?" Après un nouveau regard au "modèle" (qui matérialise ici "l'idée à poursuivre") : "Ah, oui, peindre. On va choisir des couleurs." Et tout en peignant chacun des éléments sous toutes leurs coutures,  ils ont développé une connaissance physique des matériaux qui a facilité (un peu !) les phases suivantes - de plus en plus critiques : collage des parties et équilibrage du mobile.

Pour le moment, je préfère qu'ils construisent les différentes étapes de réalisation à travers la discussion plutôt que de suivre une recette, c'est plus vivifiant pour le cerveau. 😊

Et bien sûr, comme toujours, la matière résiste. Parfois beaucoup, et chez nous l'adulte n'hésite pas à assister. Ce serait inconcevable "en art" - où chacun fait sa cuisine, et où il n'y a pas de "bonne réponse" - mais nous sommes ici "en bricolage". Le terme peut avoir une connotation péjorative : "Pff, c'est du bricolage !"dira-t-on d'un travail d'amateur sans garantie. Mais en y réfléchissant, bricoler, c'est se débrouiller, c'est s'en tirer avec des moyens de fortune, c'est réajuster ses plans initiaux en fonction des difficultés rencontrées ... Et ne pas lâcher son objectif. Car ici, il y a une bonne réponse : il faut que ça marche.

Ce que j'aime, quand on "bricole" avec les enfants, c'est que personne ne détient le savoir. Zut de zut, impossible de coller ces deux éléments entre eux. Nous réfléchissons : et avec le pistolet à colle ? Avec de la glu ?  Avec des élastiques ? On essaie, ça ne va pas. Des agrafes ? Ah, pour cette partie-là, oui, pour cette autre, il faut encore chercher ... Chacun, des Oncles aux Invités en passant par les Petits Voisins,  y va de son grain de sel.

Et les grains de sel, on aime ça (à la folie !).😊

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